RÉTROSPECTIVE THIERRY-LOÏC BOUSSARD
LE TRANSPALETTE, BOURGES
DU 1er JUILLET AU 17 SEPTEMBRE 2017
L’œuvre foisonnante, atypique et oh combien singulière de Thierry-Loïc Boussard atteste d’une longue tradition française : celle du peintre qui dans le secret de son atelier poursuit, solitaire et souvent incompris, l’aventure de la création.
Ce mythe puissant, convoquant au passage la terrible légende de l’artiste maudit, ne cesse d’irriguer – au moins depuis le XIXème siècle – l’histoire de l’art avec le succès que l’on sait. Thierry-Loïc Boussard ne fut pas un artiste maudit. Sa volonté de poursuivre en solitaire son chemin, il l’a cherché, revendiqué, acceptant implicitement que son œuvre reste finalement confidentielle.
Six ans après son décès, les artistes et commissaires qui l’ont connu ne cessent de célébrer son œuvre, y repérant des questionnements fondamentaux quant à l’actualité de la peinture.
Au premier abord, l’œuvre de Boussard peut dérouter. Mais quiconque s’y frotte, quiconque laisse son regard pénétrer ses toiles et dessins, quiconque prend la mesure du travail accompli se trouve soudain embarqué dans le plus extraordinaire voyage car celui-ci ne cherche pas à atteindre les rivages du beau, du merveilleux, du séducteur.
Non, ce qui est en jeu est plus profond et plus essentiel : qu’est-ce qui fonde l’acte pictural ? En regardeur visionnaire, en parfait connaisseur de l’histoire de l’art, Boussard accepte toutes les possibilités, toutes les erreurs, toutes les trouvailles. Seul compte l’acte.
Le seul héroïsme que l’on peut lui reconnaître consistait à aimer passionnément la vie, à poursuivre son aventure avec une énergie hors norme. Sa peinture est un acte de foi envers le monde, la vie et la capacité de l’artiste à ré-enchanter l’imaginaire.
En attestent ses variations chromatiques, ses éclats de couleurs sans équivalent chez ses contemporains. En attestent également cet amour de la matière et cette passion pour les matériaux trouvés lui servant de support.
Lorsqu’il débute sérieusement la peinture en 1974, c’est vers l’abstraction qu’il se tourne. Et pas n’importe quelle abstraction mais celle défendue par les membres de Supports/Surfaces (notamment Marc Devade et Daniel Dezeuze) ou cette peinture américaine refusant la géométrie au profit d’une interrogation des constituants même de la peinture (Clyfford Still ou Robert Motherwell).
De cette époque date aussi sa découverte de Sima (1891-1971) et sa fameuse revue Le Grand Jeu éditée en 1928 avec René Daumal. La liberté érigée comme jeu, comme mode de vie et de pensée, voilà son programme, mais un programme exigeant.
La matière, omniprésente dans ses œuvres, se fait généreuse, ouverte, creusée de mille contradictions, le tout dans des tons éclatants. Pour Boussard la peinture est donc un défi, défi plastique, esthétique, théorique mais aussi politique et moral.
Le « Que peindre désormais ? » et le « Comment le peindre ? » – interrogation propre à sa génération – se double chez lui d’un doute : comment être artiste dans une période de fin des idéologies et de disparition des avant-gardes ?
Être peintre ce n’est pas répondre aux événements du monde, affirme t-il, mais c’est poser à partir de la peinture un rapport au réel. Au lieu de s’engager dans la mise à nu des éléments du fait pictural comme le pratiquaient les membres de Supports/Surfaces, au lieu de décomposer les éléments du tableau, il va lentement revenir à une forme de figuration, ou plus exactement de déconstruction du motif.
Dès la fin des années 1970, isolé dans son atelier berrichon de Prunay où il s’installe avec sa femme Nicole en 1972, il affirme combien la peinture répond surtout à deux nécessités. La première consiste à jouer avec les matériaux, du plus noble au plus vulgaire (voire au plus vil).
Qu’importe pourvu qu’ils permettent la peinture. La seconde, tout aussi essentielle, repose sur une assertion : il n’y a pas de mauvaise peinture car tout acte pictural est avant tout interrogation puis mise sous tension entre une volonté consciente et la dictature des matériaux. D’où ces destructions, d’où ces altérations continuelles d’œuvres anciennes, ces recouvrements divers, ces abandons circonstanciés d’une série.
Si tout peut être peint, tout n’est pas digne d’être vu. L’artiste reste le maître sur sa production, celui qui tranche. En cela il rejoint Robert Filliou qui avait quelques années plus tôt attesté à propos de ses œuvres : « bien fait, mal fait, pas fait », substituant au classique sentiment de goût celui, plus essentiel, d’équivalence entre les œuvres.
Chacune appartient à un tout et participe au même titre que les autres d’un épuisement des possibilités de l’acte pictural. Filliou pouvait ajouter quelques années plus tard « L’art est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art », déclaration que n’aurait pas refusé Thierry-Loïc Boussard.
L’inventaire de motifs qu’il s’amuse à décliner, détourner, questionner est donc infini, ou presque. Boussard refuse les hiérarchies. Les séries deviennent autant d’essais et variations, où il se joue de la plasticité du motif comme pour mieux en révéler son essence. Qu’importe les dimensions ou le support ; du papier à la toile en passant par des couvercles de pizza, des échantillons de tissus d’ameublement, d’anciennes portes en bois, des sacs plastiques.
Parfois, le support devient sculpture ou plus exactement extension plastique dans l’espace des questionnements picturaux. Toute l’œuvre de Thierry-Loïc Boussard joue avec ce risque : croûte ou chef-d’œuvre ? Question vaine et sans importance !
Au final, c’est à un apprentissage exigeant du regard qu’il nous convie et nous invite, apprentissage peuplé de pièges, dont celui redoutable de la figuration, de la couleur souvent saturée et posée dans des rapports chromatiques surprenants. Tout peut donc convenir ! Bouquet de fleurs, maison, arborescence abstraite, chapiteaux de cirques, cyclistes du Tour de France, X en fer dans les murs des vieilles demeures, building new-yorkais, etc…
Et toujours cette interrogation lancinante : qu’est-ce qui détermine qu’une peinture est achevée, close, délivrée de son créateur ? Au sein de son évolution, on peut cependant repérer quelques ruptures. La plus essentielle trouve son origine dans un voyage aux Antilles en 2000.
Là, le foisonnement de la nature en rupture avec les reliefs désolés de l’île semble répondre directement à ses recherches. L’île de La Désirade près de la Guadeloupe est tout autant une leçon que l’amorce d’une ouverture.
La nature, la puissance des éléments, deviennent ici le gage d’une liberté sans équivalent. Thierry-Loïc Boussard y repère aussi, là, simplement offert au regard, une puissance des tons inédite. S’en suivront plusieurs séries dont la dernière réalisée directement au rouleau à peinture.
Là, la matière picturale devient transparence, glacis, recouvrement esquissé, jeu souverain sur la couleur. Sans le savoir, il livrait un testament d’une puissance sans équivalent dans le monde de la peinture française.
Scénographie
Imaginé comme la première rétrospective de cet artiste, l’accrochage déploie volontairement certaines séries afin de mieux démontrer les principes de sa création.
« New York, les X, les maisons, les peintures au rouleau, bouquets et pots de fleurs » sont installées afin de démontrer le processus de déconstruction qu’il met en place.
Ces ensembles (ne visant pas à l’exhaustivité) seront complétés de quelques exemples d’autres ensembles (coureurs du Tour de France, chapiteaux, anthropométries, rochers, etc.) afin de saisir l’extraordinaire variété des motifs déclinés.
Quelques dessins, gravures et peintures attesteront également de ses débuts d’artiste dans les années 1960. Enfin, une section sera consacrée à son investissement dans la Galerie Dépôt qu’il avait ouvert dans les années 1970 à Bourges.
Publications
L’exposition sera accompagnée de deux publications. La première, un journal gratuit, servira de guide. La seconde, imaginée comme un catalogue scientifique sur le parcours et l’œuvre de Thierry-Loïc Boussard, rassemblera de nombreux documents et vues d’expositions.
Plusieurs textes critiques accompagneront les séries de cet artiste méconnu mais essentiel dans le paysage contemporain.
INFORMATIONS PRATIQUES
Friche l’Antre-peaux
26, route de La Chapelle
18000 Bourges
OUVERTURE
du mercredi au samedi de 14h à 19h et sur rendez-vous sauf jours fériés
Entrée libre