Exposition UNE SECONDE AVANT L’ÉVEIL
JOANN SFAR – SALVADOR DALI
à l’ESPACE DALI
du 09/09/2016 au 31/03/2017
En 1939, Salvador Dalí publie une « Déclaration d’indépendance de l’imagination des droits de l’homme à sa propre folie », en réponse aux censeurs. Il emploie dès lors cette liberté d’expression en favorisant les associations d’idées et d’images spontanées qui donnent à ses œuvres une incomparable puissance imaginative.
C’est à Joann Sfar, l’un des conteurs contemporains les plus talentueux, connu du grand public pour sa bande dessinée Le Chat du Rabbin et son film Gainsbourg Vie Héroïque, que l’Espace Dalí a donné carte blanche pour imaginer le scénario d’une rencontre artistique avec celui que Brassaï appelait « l’explorateur aussi hardi que lucide de l’irrationnel ».
Artiste formé aux Beaux Arts de Paris, Joann Sfar, qui expose pour la première fois ses dessins dans un établissement muséal, nous propose un chemin dessiné dans ce qu’il s’imagine être le cerveau de Dalí. Il encourage la perdition et l’égarement parmi les figures monstrueuses. Ce qui lui importe, c’est que l’exposition soit aussi excitante qu’un conte de fées.
L’exposition est une invitation au « voyage immobile » d’un peintre et de ses modèles évoluant entre rêve et réalité, au fil de l’écriture en dessin de Joann Sfar.
Dans un décor enchanté par les sculptures et objets surréalistes de Dalí et les créations Haute Couture de Schiaparelli qui ont inspiré l’artiste, plus de 200 dessins originaux, croquis, esquisses sont à découvrir.
Parallèlement à l’exposition, Joann Sfar publie aux éditions Rue de Sèvres un récit en bande dessinée en hommage à Dalí, Fin de la parenthèse, dont les dessins originaux sont présentés dans l’exposition.
À la rentrée 2016, il sera professeur à l’Ecole des Beaux Arts de Paris.
L’envie de sacré ne me prend pas tous les jours. Je veux dire que j’ai peu d’enthousiasme pour les rituels des religions consacrées. Je ressens le besoin de me barder de la mystique de grands artistes. Pardon pour la grandiloquence mais ce sont nos arts et notre liberté que l’on attaque de plus en plus. J’ai fait dire cette phrase à mon héros-artiste dans mon livre Tu n’as rien à craindre de moi : « Face au Mur des pleurnichations, à la Pierre noire et à Saint Pierre, un urinoir, ça va pas suffire. Je crois cela profondément, qu’il incombe aux arts de kidnapper la fonction sacrée. »
Je me suis choisi Dalí pour maître au sortir de l’adolescence et n’ai guère dévié depuis, de son enseignement paradoxal. Je ne m’intéressais pas trop au Dalí peintre. C’est le théoricien que j’aimais. J’avais lu tous ses écrits, ainsi que les entretiens avec Pauwels. J’aimais tout. Sa façon d’épouser Gala deux fois. Sa manière de se mettre dans l’obscurité et de presser sur ses paupières pour provoquer des apparitions oraculaires. J’aimais enfin sa manière d’analyser les toiles grâce à un aller-retour constant entre l’hypothético-déductif et la folie intime. Il ne faisait rien d’autre, en inventant la paranoïa-critique, que reprendre à son compte la méthode platonicienne : logique formelle pour les choses séculaires, puis recours au mythe dès qu’on touche à ces châteaux fondateurs de l’âme, inaccessibles aux calculs mathématiques. Dalí c’est, par le chemin du délire, l’affirmation de la nécessité mathématique. Nul n’entre ici s’il n’est géomètre, c’est à dire persuadé que le Christ est un cube, à savoir une machine euclidienne formée d’os, de muscles, de tendons, cela sera sacré pour vous : le corps et sa représentation.
Puis à l’occasion de ce travail dessiné pour l’Espace Dali, je suis entré en intimité avec les peintures de Dali. Je ne les voyais avant cela que comme des « images », au sens psychanalytique, des assemblages habiles qu’il aurait aussi bien pu effectuer en collages de photographies, ou même sous la forme de mots. Je m’étais toujours dit que chez Dalí la touche picturale n’avait guère d’importance. Ça m’a pris un an pour comprendre. J’ai rassemblé quatre jeunes femmes car j’avais été fasciné par cette photographie où il pose devant quatre modèles nus. On leur a mis des jolies robes. On n’a mis les robes que le dernier jour, le reste du temps elles étaient nues. Je les ai laissé jouer avec les tableaux. Elles disposaient de reproductions des œuvres et elles se débrouillaient pour les redire, en gestes, en danse, en théâtre. Il n’y avait d’autres spectateurs que moi-même et mon équipe réduite. Nous étions en vase clos, observateurs de notre propre délire.
Nous livrons ici le résultat de cette réclusion, réponse mutique et rageuse à l’âge de bronze qui nous revient de partout. Le maximum de violence impériale dont je suis capable se trouve dans cette tristesse de mon héros-artiste face aux squelettes de baleine. Notre civilisation se terminera sans qu’on ait compris pourquoi nos semblables ont pu encore une fois se laisser empapaouter par l’idée absurde qu’un prêtre saurait mieux qu’un peintre. Dalí parlait de cryogénie. On lui disait « maître, pourquoi répétez-vous sans cesse que vous allez être cryogénisé ». Et Dalí répondait, je le cite de mémoire, que le jour où l’on annoncerait son décès, il se trouverait toujours un con, au fond d’un bistro, quelque part dans le monde, pour balbutier «non, il n’est pas mort, il est cry-o-gé-ni-sé ».
Le con, c’est moi. Je le crois réincarné dans ses œuvres, je suis persuadé que rien n’est plus vivant que l’émotion qui vous retourne au moment où vous comprenez enfin une peinture que vous avez sous les yeux depuis toujours. Ces dessins sont le compte rendu des émotions psychotropiques et réellement ontologiques qui m’ont changé à jamais par la grâce d’un an de voisinage avec l’œuvre peint de Salvador Dali. Plus jamais je ne me permettrai de dire que Dalí est davantage théoricien que peintre. Dalí rend vivant Velasquez, et vole à la religion sa fonction sacrée. Le goût de Dalí pour le Christ est proprement confiscatoire. Il a raison. Par les temps troublés que nous vivons, Dieu est un sujet trop grave pour le laisser aux seuls religieux.
11 Rue Poulbot – 75018 Paris
Ouvert tous les jours de 10h à 18h
Nocturnes jusqu’à 21h les derniers mercredis du mois