A l’invitation qui lui a été faite par la Fondation d’entreprise Ricard d’investir le Panorama de la Friche la Belle de Mai à Marseille, Guillaume Leblon répond par une installation qu’il a spécifiquement conçue pour l’espace et l’occasion.
Le poids que la main supporte, œuvre créée in-situ, résulte d’un procédé de collecte à travers Marseille mis en place en amont du montage de l’exposition. Il aura fallu traquer les mis-au-rebut, les délaissés, les prêts-à-jeter, disséminés dans les marges et les friches de la ville, et sélectionnés pour leur potentiel narratif ou leur typologie formelle ou fonctionnelle.
Composée d’éléments exclusivement métalliques, l’installation recompose ainsi un espace résonnant et praticable à partir d’éléments rudimentaires tels qu’un panneau de signalisation, une couscoussière, une barge, une porte de garage, un radiateur de climatisation, ou un escalier.
Carcasses hors d’usage, évacuées du circuit des consommables ou des utilitaires, ces éléments dépourvus de fonctions deviennent les signes abstraits d’un état transitoire, quelque part entre culture et nature. « Les délaissés résultent de l’abandon d’une activité. Ils évoluent naturellement vers un paysage secondaire »* – que le paysagiste français Gilles Clément nomme « Tiers paysage ».
Dans un Manifeste publié en 2004, il écrit : « Le Tiers paysage – fragment indécidé du Jardin Planétaire, désigne la somme des espaces où l’homme abandonne l’évolution du paysage à la seule nature. »*
Avant la collecte, les éléments composant Le poids que la main supporte traçaient ainsi des angles morts dans la ville, des espaces improductifs et sacrés où ils continuaient de chuchoter une mémoire et une conscience collectives, tassées dans les décombres ou en prise au vent.
De ces formes souterraines du flux social, Guillaume Leblon n’a retenu que leurs contours, leurs masses, leurs surfaces. Après les avoir désignées et prélevées, il les a assemblées par une opération d’aplanissement et de montage.
Du volume à la surface, ces éléments hétéroclites mis bout à bout deviennent autant de parcelles d’un paysage fragmenté que le visiteur peut appréhender et fouler aux pieds.
Cette question de « géologie de la mémoire »1 traverse en continu le travail de Guillaume Leblon, qui préfère (ré)investir des espaces vides et a priori sans qualités plutôt que de formuler ex-nihilo des symboles iconographiques exhortant à l’exercice de mémoire collective.
Il se contente de sculpter le déjà-là et le latent par des interventions et des gestes minimaux d’addition et de soustraction qui permettent ici un basculement d’échelle (du glanage à l’échelle d’une ville au sol bien délimité d’un espace d’exposition) et de perception sensible (de l’extérieur à l’intérieur, de l’objet au plan) et transforme la mémoire en expérience.
« En toutes circonstances le Tiers paysage peut être regardé comme la part de notre espace de vie livrée à l’inconscient. Profondeurs où les événements s’engrangent et se manifestent de façon, en apparence, indécidée. »*
Avec Le poids que la main supporte c’est la mémoire de Marseille faite paysage que vous, visiteurs, parcourez.
* Toutes les citations suivies d’un astérisque sont tirées du « Manifeste du Tiers Paysage » de Gilles Clément, initialement paru aux éditions Sujet/Objet en 2003.