RA’ANAN LEVY
L’épreuve du miroir
7 décembre 2019 – 8 mars 2020
Fondation Maeght (Saint-Paul de Vence)
Commissaire invité: Hervé Lancelin, président de la Pinacothèque au Grand-Duché de Luxembourg.
La Fondation Maeght présente du 7 décembre 2019 au 8 mars 2020 « L’épreuve du miroir », exposition consacrée au monde pictural de Ra’anan Levy dont le commissaire Hervé Lancelin, à la fois proche de l’artiste et familier de sa création, rassemble une trentaine d’œuvres et un ensemble de gravures qui seront mises en regard avec les collections de la Fondation Maeght.
Fondation Maeght ©
L’artiste franco-israélien n’a cessé de figurer des portions de la réalité ordinaire, singulièrement choisies, affirmant son style propre tout en approfondissant ses thèmes de prédilection: la configuration de l’espace, la fuite du temps, l’absence des personnes, la présence des objets, l’habité et l’inhabité, les jeux de perception visuelle et d’imagination transformant le quotidien en étrangeté.
Le principe que l’on peut détecter dans l’œuvre de Ra’anan Levy et qui sert de fil conducteur à son travail est l’AMBIGUÏTÉ.
D’un côté, les œuvres qui représentent la plénitude jusqu’à la BOULIMIE comme les tables de travail et les ateliers pleins d’objets utiles ou négligeables, ou encore les tableaux qui représentent des bibliothèques dans lesquelles on peut se noyer sous des piles de livres jetés dans tous les sens.
De l’autre côté, les sujets maigres voire ANOREXIQUES comme des pièces et des appartements vides, ou des fragments de miroirs.
L’élément qui lie des sujets si opposés est simple: si l’on observe les pots de peinture sur les tables de travail, on aperçoit qu’ils sont toujours ouverts et qu’ils nous invitent à entrer, comme Alice entre au pays des merveilles dans un labyrinthe où elle trouve des pièces vides et des miroirs.
Il y a toujours une ouverture qui invite les spectateurs à entrer.
Une dualité importante dans les images de Ra’anan Levy, et non encore vraiment élucidée par la critique, est celle qui oppose et associe les espaces vides d’une part et d’autre part les éléments surchargés, tels que les pièces jonchées de livres ou les tables entièrement recouvertes du matériel du peintre ; pots ou chiffons, quand il ne s’agit pas de véritables entassements de tissus.
Ces deux thèmes du vide et du plein sont accentués par l’alternance manifeste de tons ternes et de couleurs vives, qui a pu être décrite comme « une anorexie et une boulimie de tonalités ».
Leur communication doit donc être comprise, d’après le peintre, comme s’opérant par les ouvertures (pots, bouches, évacuation de l’évier, etc.).
L’idée d’une entité se remplissant et se vidant perpétuellement peut entraîner une réflexion sur le désir, dont l’essence est de ne jamais pouvoir être durablement comblé et qui peut être illustré par l’exemple, chez Platon, du pluvier qui se nourrit et fiente en même temps.
Le drame de notre nature humaine désirante est le suivant : le désir aussitôt satisfait disparaît, pour laisser bientôt naître un nouveau désir à rassasier, et ainsi de suite, indéfiniment. » explique Hervé Lancelin.
Découvert par le public français lors de sa première rétrospective en France au Musée Maillol à la fin de l’année 2006, l’œuvre de Ra’anan Levy rencontre un grand enthousiasme.
Avec sa peinture aux couleurs pures et aux pigments vifs, quelque part entre Balthus, Freud et Hopper, Ra’anan Levy présente une certaine continuité avec la grande tradition des peintres figuratifs, loin des débats formalistes et conceptuels du modernisme.
Plutôt que de s’appesantir sur les raisons du choix et les interprétations possibles du motif choisi par l’artiste – que lui-même conçoit comme une évidence – il faut se concentrer sur l’expression qu’il en donne, sur l’effet produit par l’œuvre, sur la manière qu’a l’artiste de traiter la matière.
Ra’anan Levy est un poète de la matière et du passage du temps, la figure disparaît dans son travail au profit de l’essence même de la matière.
Ses intérieurs déserts révèlent une certaine solitude dans l’atelier et son regard sur le monde qui l’entoure.
Seul, il tente de faire de chacun de ses tableaux un espace habitable.
Espace de création et espace de vie sont très intimement liés dans son œuvre.
Il vit par son œuvre, dans son œuvre, pour son œuvre, qu’il nourrit constamment de sa vision très subjective du monde.
Il observe les lieux et les êtres avec une acuité extrême.
Ra’anan Levy crée une œuvre très personnelle et expressive: chaque gravure, chaque papier, chaque toile est le résultat d’une aventure obsessionnelle marquée par un tel degré d’engagement et de passion que Ra’anan Levy finit par s’incarner lui-même dans sa peinture.
Passionné de gravure, Ra’anan Levy a réalisé un nombre important de gravures à tirage unique ou limité.
À l’occasion de cette exposition, l’artiste a fait don à la Fondation Marguerite et Aimé Maeght d’un exemplaire de chacune de ces gravures ainsi que des essais et bons à tirer.
Une salle de l’exposition sera consacrée à cette technique si importante pour l’artiste.
L’art, reflet du Temps
Fondation Maeght ©
L’exposition des tableaux et gravures de Ra’anan Levy ouvre les portes d’un singulier palais des glaces ; le visiteur est invité à méditer entre les murs et les vieux miroirs d’appartements inhabités.
Les œuvres de l’artiste franco-israélien pourraient être appréhendées comme une série obsessionnelle d’exercices de composition faisant varier les lignes verticales, horizontales ou obliques et les reflets.
Mais à force d’observation et de travail, les espaces représentés par Ra’anan Levy ne lui demeurent pas extérieurs ; l’artiste se les approprie, les assimile et les incorpore par le patient processus de création.
Appliqué, parfois plus hâtif dans sa manière de peindre, Levy recherche consciencieusement la désorganisation visuelle et le désordre.
Ses vues divisées et multipliées par le jeu des miroirs fuient l’uniformité.
L’ombre et la lumière, la perspective inhabituelle sur ces lieux aux ouvertures nombreuses – portes entrouvertes ou tombées à terre, pots de peinture et de pigments renversés, robinets qui coulent, bouches d’évacuation, etc. – déstabilisent.
L’ensemble est rythmé, chaotique, égarant ; stimulant pour la perception et la réflexion. Une atmosphère de solitude et de mystère en émane, proche de l’univers de Edward Hopper, mais plus froide par le choix d’une palette rappelant Lucian Freud, voire inquiétante à la manière de Francis Bacon dont on retrouve les effets de flou.
La réalité de ces lieux importe moins que les ambivalences qui semblent les hanter.
Les pièces vides et les accumulations d’objets offrent un saisissant contraste. Par les palpables courants d’air et d’eau, une vie semble habiter ce désert où se frôlent l’absence et la présence.
Corps et Esprit
Fondation Maeght ©
On sait le peintre attaché à son manuel d’anatomie pour l’inspiration que lui offrent les couleurs et textures de la peau, des muscles, des veines et des os. La métaphore organique liée à son œuvre prend ainsi tout son sens.
Que ses appartements présentent des caractéristiques semblables à celles de corps vivants n’est pas fortuit.
Plus que le symbole d’un organisme, l’univers de Ra’anan Levy est psychologique, s’il est juste d’y voir le reflet de l’intériorité du peintre… et de l’observateur qui y pénètre.
La solitude et les miroirs se prêtent aux inévitables questions existentielles sur la connaissance de soi, la complexité de l’identité personnelle, le sens de la vie et sa brièveté, la fonction de la création artistique à cet égard ou bien finalement la vanité et l’absurdité de tout cela.
Face à ces images, le problème métaphysique du libre-arbitre trouve deux solutions contraires : la liberté d’explorer ces lieux inconnus en quête de quelque chose, ou la condamnation à y errer sans but défini.
Tout ou rien
La dualité marquée des endroits dépeuplés et des choses qui s’y entassent encourage une interrogation sur le vide et le plein, le néant et l’absolu, et pourquoi pas l’abondance et le dénuement, la nature dévorante et insatiable du désir, ou encore l’indécence contemporaine de l’hyper-consommation au regard des populations démunies.
Cette interprétation permet de rappeler que se contenter de peu et cultiver son âme est une sagesse tandis que l’appétit matérialiste débouche sur la dégradation spirituelle et morale d’une existence obnubilée par l’argent et l’acquisition de biens superflus.
Vitesse et lenteur
De plus, les scènes de livres jonchant le sol, ainsi que la sensation de flux visible dans les tableaux de Ra’anan Levy incitent à considérer la tendance technologique contemporaine à partager et commenter des « informations » à toute vitesse : « s’informer », communiquer de la sorte menace profondément la solidité de la connaissance et le temps de long d’une transmission digne de ce nom.
Du dégoût né de la surabondance d’un monde en transformation accélérée et en déséquilibre croissant semble éclore un désir de privation et de ralentissement.
Ra’anan Levy semble trouver en l’art son exutoire.
Les ouvertures des pots de peinture seraient l’issue vers la quiétude spirituelle; la création, une quête de dépouillement, de dépossession, d’affranchissement.
À nous aussi, l’ascèse pratiquée face à ces sortes de déserts spirituels serait bénéfique.
Hervé Lancelin, commissaire de l’exposition et président de la Pinacothèque au Grand-Duché de Luxembourg.
Ra’anan Levy
Ra’anan Levy est né en 1954 à Jérusalem.
Il vit et travaille aujourd’hui entre Paris et Florence.
Formé aux arts plastiques en Italie à l’Academia di Belle Arti de Rome et de Florence, et au centre d’art graphique Santa Reparata à Florence de 1975 à 1979, à l’histoire à l’Université Hébraïque de Jérusalem (départements Histoire et Histoire des pays musulmans) de 1980 à 1983, Ra’anan Levy passe trois années en résidence à la Rijksakademie van beeldende Kunsten d’Amsterdam de 1983 à 1986 grâce à une bourse du gouvernement hollandais pour post graduate.
En 1987, il s’installe à Paris après avoir reçu une bourse de la Fondation de France.
L’œuvre de Ra’anan Levy a été exposé à Paris, Londres, Tel Aviv, Jérusalem, Saint-Pétersbourg, Zurich et New York.
Parmi quelques grandes expositions personnelles : « Ra’anan Levy: Works on Paper » (cat. expo) en 1997 au Tel-Aviv Museum of Art, « Ra’anan Levy, la chambre double » (cat. expo) à la Fondation Dina Vierny-Musée Maillol à Paris en 2006, exposition présentée en 2007 au Tel-Aviv Museum of Art sous le titre « Ra’anan Levy: The Poetics of Space » (cat. expo), « Ra’anan Levy, Passages du temps » (cat. expo) à la Fondation Dina Vierny-Musée Maillol à Paris en 2012.
En 2013, Ra’anan Levy est nommé Chevalier des Arts et des Lettres.
Son travail a déjà intégré de grandes collections publiques et privées internationales : Bibliothèque nationale de France, Paris ; Galleria degli Uffizi, Florence; The Israel Museum, Jérusalem; Tel-Aviv Museum of Art, Tel-Aviv ; Victoria and Albert Museum, Londres ; Fondation Maeght, Saint-Paul-de-Vence.